Depuis l’annexe fiscale à la gestion pour l’année 2017, la Côte d’Ivoire a entrepris de moderniser son dispositif fiscal relatif aux prix de transfert dans le cadre des travaux menés par l’OCDE[1]. En sus de l’obligation pour les entités liées d’opérer leurs transactions conformément au principe de pleine concurrence, elle a introduit trois obligations déclaratives dans le Code général des Impôts (CGI) :
- la préparation de l’état des transactions internationales intra-Groupe: article 36 CGI ;
- l’institution de la déclaration pays par pays ou CbCR[2] : article 36 bis CGI ;
- la constitution et la préparation d’une documentation des prix de transfert: article 36 ter CGI.
Toutes ces obligations concernent les contribuables ivoiriens qui sont sous la dépendance[3] ou qui possèdent le contrôle[4] d’entreprises situées hors de Côte d’Ivoire.
Cependant, le CGI ne donne pas une définition de la notion de dépendance et de contrôle si bien que les contribuables s’interrogent sur le périmètre des entités qui sont comprises dans les obligations liées aux questions de prix de transfert : application du principe de pleine concurrence et ses corollaires, obligations documentaires.
La présente publication tente, à la lumière de la doctrine nationale et internationale, d’établir une définition de la notion de dépendance et de contrôle d’une part, et de définir le périmètre des obligations prix de transfert.
1) Article 9 du Modèle de Convention Fiscale – Entreprise associée
Le Modèle de l’OCDE de convention fiscale concernant le revenu et la fortune (« Modèle de Convention OCDE ») permet de régler uniformément les problèmes qui se posent le plus couramment dans le domaine de la double imposition juridique internationale.
L’article 9 du Modèle de Convention OCDE est rédigé comme suit :
« 1. Lorsque
a) une entreprise d’un État contractant participe directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d’une entreprise de l’autre État contractant, ou que
b) les mêmes personnes participent directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d’une entreprise d’un État contractant et d’une entreprise de l’autre État contractant,
et que, dans l’un et l’autre cas, les deux entreprises sont, dans leurs relations commerciales ou financières, liées par des conditions convenues ou imposées, qui diffèrent de celles qui seraient convenues entre des entreprises indépendantes, les bénéfices qui, sans ces conditions, auraient été réalisés par l’une des entreprises mais n’ont pu l’être en fait à cause de ces conditions, peuvent être inclus dans les bénéfices de cette entreprise et imposés en conséquence ».
Cet article pose le principe dit « principe de pleine concurrence » qui a pour objet de déterminer le prix qu’auraient convenu, pour une transaction, deux entreprises indépendantes placées dans une situation économique comparable, sur le marché libre. La norme de pleine concurrence, standard international est reprise par la plupart des Etats dans leur législation, pour limiter et sanctionner les transferts de bénéfices à l’étranger, et en particulier en Côte d’Ivoire, où le corpus règlementaire articulé autour des articles 38 et 36 du CGI.
Cet article traite des ajustements de bénéfices qui peuvent être effectués à des fins fiscales lorsque des transactions ont été conclues entre les entreprises associées dans des conditions autres que celles de pleine concurrence. Il distingue les entreprises associées des entreprises indépendantes. Ainsi, les obligations prix de transfert ne concerneraient pas a priori des entreprises indépendantes mais plutôt des entreprises associées.
Qu’entend-on alors par entreprises associées ?
2) Commentaires de l’Administration fiscale ivoirienne
Suivant les commentaires de l’article 15-1 de l’annexe fiscale 2017, les personnes concernées par l’obligation déclarative prévue par l’article 15-1 de l’annexe fiscale 2017 sont les entreprises installées en Côte d’Ivoire et qui ont des liens, notamment capitalistiques[5] avec des entreprises situées hors de Côte d’Ivoire et avec lesquelles elles réalisent des transactions.
Au sens de cet article, des entreprises sont considérées comme associées[6] ou comme ayant des liens de dépendance[7], lorsque :
- l’une détient directement ou indirectement par personne interposée, des parts dans la capital social de l’autre ou y exerce en fait un pouvoir de décision;
- ces entreprises sont placées l’une et l’autre dans l’hypothèse ci-dessus décrite, vis-à-vis d’une même tierce personne ;
- ces entreprises appartiennent toutes les deux au même groupe de sociétés sans être placées dans aucune des hypothèses précédentes.
Ces commentaires précisent également que l’existence d’un lien de dépendance peut également résulter de situations de fait, indépendamment de tout lien juridique ou capitalistique entre les entreprises en présence.
Ces commentaires lient la notion d’entreprises associées à
- (i) la détention de part dans le capital social sans en préciser la proportion de cette détention ;
- (ii) l’exercice dans les faits du pouvoir de décision ;
- (iii) l’appartenance au même groupe de sociétés.
Conformément aux dispositions de l’article 173 de l’Acte uniforme de l’OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE (AUDSCGIE), un groupe de sociétés est l’ensemble formé par des sociétés unies entre elles par des liens divers qui permettent à l’une d’elles de contrôler les autres.
L’Acte uniforme précise que le contrôle d’une société est la détention effective du pouvoir de décision au sein de cette société et qu’une personne physique ou morale est présumée détenir le contrôle d’une société lorsqu’elle détient, directement ou indirectement ou par personne interposée, plus de la moitié des droits de vote ou lorsqu’elle dispose de plus de la moitié des droits de vote en vertu d’un accord ou d’accords conclus avec d’autres associés.
Dans le cadre de son commentaire de l’annexe fiscale pour la gestion 2018, l’Administration fiscale a défini la notion de « groupe » en ce qui concerne les modalités de mise en œuvre des déclarations pays par pays.
Le terme « groupe » » s’entendrait, dans ce contexte, comme un ensemble d’entreprises liées en vertu de la structure de propriété ou de contrôle, qui est tenu à l’obligation de produire des états financiers consolidés aux termes de l’article 74 de l’Acte uniforme de l’OHADA relatif au droit comptable et à l’information financière (« AUDCIF »), ou qui serait tenu à une telle obligation, si l’une ou l’autre de ces entreprises était cotée en bourse.
L’article 74 de l’AUDCIF est relatif d’une part, à l’obligation de consolidation et au périmètre de consolidation, d’autre part. Relativement à l’obligation de consolidation, l’article 74 de l’AUDCIF dispose que toute entité qui a son siège social ou son activité principale dans l’un des Etats partie et qui contrôle de manière exclusive ou conjointe une ou plusieurs autres entités doit établir et publier chaque année les états financiers consolidés de l’ensemble constitué par toutes ces entités, ainsi qu’un rapport sur la gestion de cet ensemble.
L’article 74 poursuit pour indiquer que les entités qui n’exercent qu’une influence notable sur une ou plusieurs entités n’ont pas l’obligation d’établir et de publier des comptes consolidés. En revanche, dès lors qu’il y a obligation d’établir des comptes consolidés, les entités sous influence notable sont incluses dans le périmètre de consolidation.
La question est alors de savoir ce que recouvre la notion de groupe. Est-ce que les sociétés du groupe sont celles sur lesquelles l’entité consolidante exerce un contrôle exclusif ou plutôt celles sur lesquelles l’entité consolidante exerce un contrôle exclusif ou conjoint, ou plutôt les entités qui font partie du périmètre de consolidation d’un groupe sans toutefois faire partie nécessairement dudit groupe ?
Dans la mesure où les commentaires de l’Administration fiscale font référence à l’obligation d’établir des comptes consolidés, le périmètre des entités associées aux fins de l’application des dispositions de prix de transfert serait alors constitué de la société mère et des filiales, entités sur lesquelles celle-ci exerce un contrôle exclusif ou conjoint.
Toutefois, dans la mesure où les commentaires susvisés précisent spécifiquement « les modalités de mise en œuvre des déclarations pays par pays », l’extension de ce périmètre aux autres obligations peut être contestée.
3) Directive C/DIR.6/07/23 portant harmonisation des règles applicables en matière de prix de transfert au sein des états membres de la CEDEAO
L’article 3 de la Directive « Principe de pleine concurrence » va reprendre in extenso l’article 9 du Modèle de Convention OCDE. En son article 5, alinéa 1, elle va préciser la notion de dépendance et de contrôle en indiquant que « au sens de l’article 3 de la présente Directive, une entreprise est réputée participer directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d’une autre entreprise lorsqu’elle :
a) possède, directement ou indirectement, une part significative du capital social ou des droits de vote de cette autre entreprise telle que définie par chaque Etat membre ; ou
b) exerce en fait et par tous moyens, sur cette autre entreprise, directement ou indirectement, le pouvoir de décision, de contrôle, de gestion ou est en mesure d’influencer ses décisions ».
L’alinéa 2 de cet article 5 précise pour sa part que « au sens de l’article 3 de la présente Directive, les mêmes personnes ou entreprises sont réputées participer directement ou directement à la direction, au contrôle ou au capital de deux entreprises lorsqu’elles :
a) possèdent, directement ou indirectement, une part significative du capital ou des droits de vote des deux entreprises telle que définie par chaque Etat Membre ; ou
b) exercent en fait et par tous moyens, directement ou indirectement, sur ces deux entreprises, le pouvoir de décision, de contrôle, de gestion ou sont en mesure d’influencer leurs décisions ».
Ainsi, la Directive donne des précisions supplémentaires sur la détention du capital en fixant le seuil à partir duquel détenir le capital social ou des droits de vote d’une entreprise permet de participer directement ou indirectement à la direction, au contrôle ou au capital d’une autre entreprise. Cependant, elle laisse le choix aux Etats Membres de fixer ce seuil.
La Côte d’Ivoire n’a pas encore légiféré sur ce seuil. Pour rappel, les états membres doivent adopter les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la Directive au plus tard le 31 décembre 2026 (Article 18 de la Directive).
En conclusion, le périmètre des obligations de prix de transfert n’est pas, à notre avis, clairement défini alors même que le principe de pleine concurrence et les trois obligations documentaires sont incorporés dans notre droit positif. Nous espérons que les prochaines annexes fiscales 2025 ou 2026 viendront définir le seuil de détention du capital social ou des droits de vote pour qualifier cette détention de contrôle ou de dépendance.
Il est indéniable que les entités contrôlées exclusivement par une autre entité ou qui seraient elles même sous contrôle exclusive d’une autre entité sont dans le périmètre des obligations prix de transfert. Toutefois, il subsiste une zone grise pour les entités contrôlées conjointement ou celles sur lesquelles une autre entité exerce une influence notable.
A la lumière de ces développements et des conséquences fiscales potentielles, chaque entreprise devra adopter une gestion proactive et préventive, par l’identification et le traitement fiscal de ses opérations intra groupes internationales en délimitant de façon précise le périmètre afin de se prémunir contre tout risque de redressement à l’occasion des contrôles fiscaux.
Pour toutes informations complémentaires ou assistance dans la mise en œuvre de vos obligations prix de transfert, n’hésitez pas à nous contacter.
[1] Organisation de Coopération et de Développement Economiques.
Organisation internationale d'études économiques, dont les pays membres — des pays développés pour la plupart — ont en commun un système de gouvernement démocratique et une économie de marché
[2] Country by Country Report
[3] Souligné par nos soins
[4] Idem
[5] Souligné par nos soins
[6] Idem
[7] Idem